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Dans le monde de l’autoédition, les bandes dessinées et les romans graphiques se sont taillé une place à part. C’est en partie une réponse au manque d’intérêt des éditeurs pour les histoires qui sortent de l’ordinaire, et en partie la capacité de certains auteurs à créer des communautés passionnées et à vendre directement à leurs fidèles lecteurs.
Tout salon de la BD qui se respecte, où qu’il se tienne dans le monde, consacre toujours un espace aux auteurs autoédités : alors que dans les années 1960, ces titres étaient en grande partie des œuvres expérimentales photocopiées plutôt qu’imprimées, le niveau de qualité n’a cessé de croître au fil des ans, au point qu’aujourd’hui, il serait difficile de faire la différence entre une BD autoéditée et une publication d’une maison d’édition traditionnelle.
BONE : UNE ÉNORME RÉUSSITE
Tout au long des années 1970 et 1980, des deux côtés de l’Atlantique, il existait une scène éditoriale underground florissante composée d’auteurs, de fanzines, de collectifs et d’autres organisations qui produisaient leurs propres œuvres. En général, ces publications à compte d’auteur avaient une diffusion locale ou limitée à des niches particulières ou à des communautés partageant des passions communes.
Puis, en 1991, une bande dessinée est apparue qui a complètement révolutionné le paradigme de l’édition. Cette BD, c’était Bone de Jeff Smith.
Cette épopée auto-publiée a été créée à Columbus, dans l’Ohio. Jeff Smith y avait créé un petit studio d’animation et passait son temps libre à publier des comics pour le journal de l’université (le comic strip est un format autonome généralement publié dans les journaux et les magazines. L’exemple le plus célèbre est sans doute celui des Peanuts de Charles Schulz).
Au début des années 1990, avec le feu vert de sa femme, Smith décide de tout laisser tomber et de tenter d’auto-publier une fantaisie légère sous la forme d’un roman graphique. Bone, dont les personnages sont trois étranges créatures qui ressemblent à un croisement entre Casper le fantôme sympathique et un personnage de Disney, est en fait inspiré de la légendaire bande dessinée américaine Pogo.
L’idée était de produire une série d’albums : Smith a vendu 1500 exemplaires du premier, puis a réduit le nombre d’exemplaires imprimés pour rester dans les limites du budget fixé dans son plan d’affaires. Quatre ans plus tard, Bone a percé et s’est classé parmi les 100 meilleures ventes d’albums de bandes dessinées aux États-Unis, avant de connaître un succès mondial et d’être acclamé par la critique.
L’un des aspects les plus intéressants du succès de Bone est l’approche adoptée par son auteur, que l’on peut résumer ainsi : “Le fan n’est pas le client. Il l’est dans le sens où il faut lui donner une histoire qui le poussera à venir l’acheter. Mais il s’agit d’un marché direct où les bandes dessinées sont vendues sans retour “*.
L’idée de Smith était donc de faire tout ce qu’il pouvait pour séduire les détaillants et les distributeurs afin qu’ils acceptent de vendre ses œuvres. Cette idée est toujours d’actualité, en particulier sur les marchés plus petits que celui de l’Amérique.
Pour en savoir plus sur l’histoire de Bone et de son auteur Jeff Smith : https://en.wikipedia.org/wiki/Jeff_Smith_(cartoonist)
Autopublication et malédiction !
Un autre exemple remarquable d’album autoédité est le numéro 0 de l’une des sagas les plus populaires de l’histoire de la bande dessinée : “Teenage Mutant Ninja Turtles”. Fait amusant : à l’origine, les TMNT étaient une parodie des histoires de super-héros de Marvel (pour en savoir plus, cliquez ici.
En 1984, grâce à un prêt, Kevin Eastman et Peter Laird ont ouvert leur propre studio de bandes dessinées. Teenage Mutant Ninja Turtles est leur première publication et, en l’espace de trois ans seulement, c’est un succès planétaire !
L’autoédition aujourd’hui
Faith Erin Hicks (http://www.faitherinhicks.com/) est une auteure canadienne de romans graphiques. En 1999, elle a commencé une expérience de narration avec “Demonology 101”, un drame pour adolescents se déroulant dans un monde fantastique : presque chaque jour, Hicks publiait une page de son histoire en ligne (il s’agissait d’un web-comic, comme on l’appelle dans le jargon). Cela lui a permis de créer une communauté de fans fidèles qui la suivaient et interagissaient avec elle, lui suggérant même des développements potentiels de l’intrigue. Elle a finalement terminé l’histoire en 2004, cinq ans et 700 pages plus tard. À ce stade, elle peut publier le roman graphique en version imprimée, sachant qu’elle dispose d’une large base de fans désireux d’acheter une copie physique de Demonology 101.
Une tendance intéressante de l’autoédition moderne est l’utilisation de plateformes de crowdfunding comme Kickstarter.
Alec Longstreth, créateur du roman graphique Basewood, est un auteur sophistiqué qui publie des livres qui ressemblent davantage à des albums illustrés qu’à des albums de bandes dessinées de poche traditionnels.
Le modèle économique de Longstreth est basé sur les abonnements et le crowdfunding, ce qui lui permet de se concentrer sur son travail créatif, tout en sachant qu’il s’occupe de l’aspect financier.
Pour en savoir plus sur son approche, cliquez ici :
Et en Italie ? L’auto-édition fonctionne
On pourrait penser que les exemples ci-dessus ne fonctionnent que parce qu’ils bénéficient d’un marché énorme et florissant : l’Amérique du Nord compte plus de 500 millions d’habitants, dont la plupart sont anglophones (même si certains lisent des bandes dessinées dans d’autres langues, principalement l’espagnol et le français). De son côté, l’Europe compte plus de 700 millions d’habitants et des dizaines de langues différentes y sont parlées. Mais malgré les différences significatives entre les marchés américain et européen, même l’Italie a son lot de succès en matière d’autoédition.
L’un des exemples les plus connus est celui de Marco D’Ambrosio, alias Makkox, qui a commencé par publier des bandes dessinées en format vertical (une innovation à l’époque) et par expérimenter l’autoédition, ce qui a permis à son travail de se répandre rapidement dans toute la péninsule.
En publiant quelques centaines d’exemplaires, Makkox a pu constituer une communauté de fans passionnés qui le suivent depuis maintenant une vingtaine d’années.
Dans cet article paru il y a quelque temps sur Ninja Marketing, Makkox explique les aspects économiques de son approche : “J’ai produit 1 000 albums sur deux types de papier. J’en ai vendu 800 à 10 € l’exemplaire et 200 autres à 30 € l’exemplaire (ces derniers ont été imprimés sur du papier de qualité supérieure et personnalisés avec un petit dessin à l’aquarelle). Si je les vendais tous, je gagnerais ce qu’un éditeur me paierait pour un album vendu à 10 000 exemplaires en librairie, ou pour la vente de 2 000 exemplaires de cinq livres”. Il poursuit en révélant qu’il a vendu ses 500 premiers exemplaires en une semaine.
En 2011, vers la fin de son mandat à la tête du magazine Canemucco, Makkox a encouragé un de ses protégés à s’auto-publier, contribuant même au financement des 500 premiers exemplaires.
Zero Calcare, un artiste déjà actif sur la scène des fanzines, a publié “The Armadillo’s Prophecy” (La prophétie du tatou), réussissant à vendre 5 000 exemplaires, un chiffre jusqu’alors inimaginable pour une bande dessinée autoéditée.
Dans cette interview, Zerocalcare parle de Makkox et de sa percée :
Avec leur ton humoristique et leur thème existentiel, elles constituaient des exemples assez uniques sur le marché italien de l’époque, dominé par la fantasy et les super-héros. Mais la volonté de publier quand même, malgré ce que pensaient les éditeurs, a ouvert une nouvelle voie pour la bande dessinée italienne.
Alessandro Baronciani est un auteur et un illustrateur chevronné qui a opté pour l’autoédition. Cela lui a permis de se constituer un public avant de commencer à vendre ses œuvres en librairie, en expérimentant le marketing de bouche à oreille et la vente par correspondance de ses albums autoproduits.
En 2016, grâce à un modèle de crowdfunding, son livre “Come svanire completamente” (Comment disparaître complètement) a été l’un des succès de bande dessinée de l’année, malgré son format complexe (il se présente sous la forme d’une boîte comprenant un album, un poster, des cartes, des cartes postales et bien plus encore).
Voici un entretien récent avec Rolling Stone.
L’autoédition peut être un choix judicieux
L’autoédition est souvent une solution intéressante pour les auteurs de romans graphiques et de bandes dessinées. Toutefois, elle nécessite une certaine dose d’esprit d’entreprise, quelques notions de mathématiques et une petite base de fans au minimum (en dehors des amis et de la famille). Cela implique également de participer à des salons et festivals de la bande dessinée, mais heureusement, ils sont de plus en plus nombreux, et beaucoup d’entre eux comportent des sections consacrées à l’autoédition.
Vous devez également savoir comment utiliser Internet à votre avantage : créer un site web, utiliser des plateformes de crowdfunding, créer du contenu sur les réseaux sociaux et faire un peu d’autopromotion intelligente.
Comme nous l’avons vu, les résultats peuvent être non seulement gratifiants, mais aussi stupéfiants.
Mais tout le monde pense-t-il la même chose, alors que le secteur de la bande dessinée est l’un des plus anarchiques et chaotiques de l’édition ?
Voici ce qu’en pense Micol&Mirco, l’un des auteurs les plus populaires de ces dernières années : “L’autoédition est quelque chose qui ne devrait pas exister : ce sont les éditeurs qui devraient permettre aux auteurs de publier ce qu’ils veulent. C’est à nous, comme à beaucoup d’autres artistes, qu’il revient de combler les lacunes. Et un mythe s’est développé selon lequel il est plus cool de s’autoéditer plutôt que de passer par un éditeur traditionnel”.
Extrait d’un article paru sur Minimaetmoralia.