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En 2018, on a assisté au retour explosif de la nostalgie pour les années 90, en préparation depuis déjà quelque temps. La division en décennies est un instrument très en vogue pour décrire et résumer la culture d’une période donnée du 20e siècle. Le début du nouveau millénaire semble être moins marqué par les décennies : aucun imaginaire fort, et en mesure de rivaliser avec les imaginaires nés au siècle dernier, ne semble (encore) s’être construit, ni dans les années 2000, ni dans les années 10, qui touchent à leur fin.
Voici peut-être la raison qui nous pousse à un retour en arrière aux années 90, dernière décennie à manifester un caractère fort.
Pour la génération X, elles représentent les années de la jeunesse, pour les millennials et les enfants du numérique, une époque pleine d’attrait et d’idéalisation. Elle marque les débuts de la révolution technologique : au début des années 90, la majorité de la population ne connaissait pas encore Internet, alors qu’à la fin de la décennie, navigateurs, ordinateurs et téléphones portables, jeux vidéo sont couramment utilisés. La technologie était en train de naître et de se développer mais elle ne gouvernait pas et ne tyrannisait pas encore nos vies.
L’imaginaire pop des années 90, qui envahit alors la musique, la mode, les films, les programmes télévisés et la technologie, est aujourd’hui une importante source d’inspiration. Le design de cette décennie ne nous laisse pas indifférents non plus : qu’il s’agisse de spots, de posters, de publicités sur les magazines ou de logos. Le graphisme a toujours eu un rôle de premier plan pour ce qui est de synthétiser et de représenter le « ressenti » d’une époque d’un point de vue visuel. Le retour actuel de certains styles graphiques des années 90 reflète bien la nostalgie pour cette époque.
Partons ensemble à la découverte d’événements, de tendances, de modes et d’objets qui représentent, en partie, ce qu’étaient les années 90 et qui ont contribué à caractériser la décennie en question et à la pérenniser jusqu’à aujourd’hui.
Années 90 : les débuts d’Internet
Un des changements les plus marquants des années 90 a été le déploiement d’Internet, avec la naissance des sites web. Le design web était simple, allant à l’essentiel et disons-le, avec le recul, un peu naïf. La majorité des sites était constituée de tableaux qui limitaient la créativité et rendaient le design plutôt ennuyeux, mais qui permettaient de disposer clairement les informations sur la page. De longues lignes de texte toutes en Times New Roman, des fonds désorganisés et hyper colorés et des gifs préhistoriques : de quoi rendre fous les utilisateurs.
Le design web a subi une véritable révolution en l’espace de vingt ans, en développant et en privilégiant la fonctionnalité, les hiérarchies, les gabarits et un langage graphique agréable pour le visiteur. Toutefois, de nombreux designers actuels reviennent aux années 90, en réaction à la tendance contemporaine de faire excès de fioritures et de surcharger les pages. De là est né un courant défini comme « Brutalist Web Design » à cause du caractère cru du design de ces sites. Les sites « brutalistes » encouragent une approche honnête et directe, à travers un design brut, qui ne cherche pas spécialement à faciliter la navigation ni à être agréable d’un point de vue visuel, mais qui, au contraire, se caractérise par une esthétique volontairement difficile et « laide », construite à partir d’un code HTML basique et imparfait.
https://brutalistwebsites.com est né de l’idée d’un portail rassemblant plusieurs exemples de cette tendance. Il a cessé son activité, mais il est toujours possible de le visiter pour ses archives.
Le site pour l’album « Everything Now » des Arcade Fire se présente comme une série en cascade de fenêtres pop-up façon Windows 98.
La page d’accueil du site de Solange rappelle également le bureau d’un iMac G3, avec des fenêtres QuickTime et des icônes de dossiers.
Pour la promotion des derniers modèles de sa série Yung, inspirée des années 90, Adidas a réalisé un site qui reprend les codes de l’esthétique, très discutable, des premières années d’Internet, faites de gifs animés démesurés, de répétitions d’images sur fond désorganisé, de pixel art, de fontes système, de bannières « under construction » et de compteurs de pages vues.
Rave Culture
À la fin des années 80, un nouveau genre musical débarque de Chicago : l’acid house, qui s’impose rapidement et fait fureur dans les années 90, au Royaume-Uni d’abord, puis dans toute l’Europe, dans les clubs, entrepôts, souterrains, forêts, souvent de manière illégale. On adopte alors le terme de « rave » pour désigner la sous-culture qui se développe autour du mouvement acid house.
L’unique façon de faire connaître les événements rave, outre le bouche-à-oreille, était de distribuer flyers et invitations. Ces derniers développèrent vite un style très particulier, marqué par la spontanéité et le désintérêt pour les conventions. La typographie affichait des gros caractères gras, que même un esprit embué pouvait lire, des couleurs criardes, des arrière-plans sombres et foncés. Les images et les motifs s’inspiraient souvent de la science-fiction et du surréalisme, ou provenaient parfois d’illustrations d’artistes du calibre de Escher.
De nombreux designers se sont récemment intéressés au langage graphique de la rave culture. David Rudnik, designer anglais, collectionne, sur son site, des posters et graphismes des années 90, dont il s’inspire pour ses propres travaux.
Le projet Well Wishers 88 de Ruben Martinho consiste en une production prolifique de posters et graphismes, dans lesquels on retrouve l’influence, quelque peu réinterprétée, des flyers iconiques de Fantazia, Dreamscape et Perception.
VHS, cassettes, Walkmans
Certains objets, essentiellement technologiques, couramment utilisés dans les années 90 et désormais obsolètes, sont considérés aujourd’hui comme des objets fétiches. La génération des enfants du numérique, notamment, qui ne les a jamais utilisés, les considère comme des nouveautés. C’est le cas des cassettes audio, dont les ventes augmentent au rythme annuel de 90 %. Chez Urban Outfitters, une célèbre chaîne américaine de vêtements et d’objets pour teen-agers, il est possible de trouver un large choix de cassettes d’artistes contemporains et de Walkmans, à côté des AirPods et des enceintes Bluetooth.
De nos jours, les vhs (cassettes vidéo) ne connaissent pas la même opportunité commerciale mais elles restent une source d’inspiration au niveau visuel. Les graphismes très reconnaissables des vhs vierges, sur lesquelles on pouvait enregistrer, sont silencieusement devenus des classiques du design des années 90. Dégradés, bandes de couleurs disposées en arc-en-ciel, grilles, typographie sans serif… Malgré des canons de composition très limités, la diversité des designs révélait une grande ingéniosité. Matthew Jones a collectionné et répertorié 400 designs différents, qu’il a divisés en catégories, en fonction de leur style.
La surcouverture de la dernière édition de la revue d’art et de mode ModernMatter, Remastered edition, qui présente une collection sur l’art de la « remastérisation » vu à travers la presse, fait clairement référence aux vhs remastérisables.
Nous espérons que ce petit plongeon dans le monde graphique des années 90 vous donnera envie de vous laisser surprendre par la manière dont les graphistes, les créatifs et publicitaires actuels sauront le réinterpréter et le remettre sur le devant de la scène dans les prochains mois.