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Connaissez-vous ce procédé d’impression ? Inventé par Louis Dufay en 1930, il s’inspire de l’irisation des ailes des papillons Morpho et permet de refléter la lumière. Beaucoup utilisé dans les années 1960’s/1970’s, il est aujourd’hui le témoin d’une époque et a donné à quelques livres et autres vinyles un statut d’objets collectors.
Un inventeur méconnu
Tout comme les frères Auguste et Louis Lumière, Louis Dufay est un inventeur originaire de Franche-Comté et l’un des pionniers de la photographie et de la cinématographie en couleurs. On lui doit entre autres deux procédés, le Dioptichrome pour la photographie couleur, puis le Dufaycolor pour le cinéma couleur. Durant toute sa vie, il a mis au point d’étonnants procédés techniques de médiation de la magie des images mais est souvent resté dans l’ombre.
Naissance de l’héliophore
Grand collectionneur de papillons, Louis Dufay découvre en observant le chatoiement des ailes des Morpho, ces papillons bleu d’Amérique du sud, que les stries de leurs ailes permettent de refléter la lumière. Il souhaite alors inventer un moyen de reproduire ces effets. Il y parvient grâce à un procédé d’impression sur feuilles d’aluminium. L’héliophore était né et un brevet est déposé en 1932. Concrètement, cette technique de biomimétisme, c’est-à-dire cette invention qui s’inspire de la nature, est « un système d’animation visuel de plaques de couleur métallisées qui exploite le renvoi des lumières incidentes par une trame de 24 lignes au mm orientées selon des angles variés pour réaliser d’étonnants effets spatiaux avec le déplacement du support ou des sources lumineuses. » comme l’expliquent Thierry Chancogne et Catherine Guiral, deux théoriciens du graphisme. Selon eux, l’héliophore est fabriqué avec « un complexe de feuilles d’aluminium coloré collées sur une couche de cire et contrecollées sur carton estampées grâce à des matrices de plastique gravées à la main par des dessinateurs ».
L’apogée de l’héliophore
Louis Dufay meurt subitement en 1936 mais son invention continue de vivre et elle devient même très à la mode presque 30 ans plus tard. Les années 1960’s/1970’s ont en effet été marquées par l’art cinétique, ce courant artistique qui propose des œuvres contenant des parties en mouvement. Le mouvement peut être produit par le vent, le soleil, un moteur ou le spectateur. C’est donc le support idéal dans cette période tournée vers la consommation, la conquête de l’espace et l’art avant-gardiste. La technologie est donc beaucoup utilisée dans la réalisation d’images décoratives ou publicitaires ou dans le conditionnement de disques, de livres par exemple. Aux États-Unis, on la retrouve notamment pour des visuels de festivals comme Woodstock ou pour la NASA.
L’héliophore au cinéma
En France, c’est Henri Georges Clouzot qui a été l’un des premiers à utiliser cette technique pour son film inachevé « L’enfer ». Dans ces essais filmés, on peut voir des images fascinantes, fantasmatiques de Romy Schneider qui montrent à quel point la recherche visuelle et la vigueur créative étaient importantes pour l’époque et pour le réalisateur. Ces visions hallucinogènes sont utilisées par le réalisateur pour illustrer la jalousie paranoïaque et dévorante de Marcel, incarné par Serge Reggiani, l’époux de l’héroïne Odette jouée par Romy Schneider. En février dernier, le groupe Kompromat accompagné d’Adèle Haenel a réalisé un clip en hommage au film de Clouzot avec de vrais morceaux d’Héliophore.
L’enfer. Crédit : Henri Georges Clouzot
https://www.youtube.com/watch?v=6AtwuQSkwgY
En musique
En 1967, la maison de disques Philips créé la collection « Prospective 21e siècle » dédiée à la musique électroacoustique et avant-gardiste. Alors pour illustrer les jaquettes de ces vinyles futuristes, ils décident d’utiliser l’impression héliophore. On ne connaît pas aujourd’hui le designer de ces pochettes puisqu’il n’a pas été crédité mais son travail remarquable a permis à cette série de disques de se faire connaître. Ces effets d’optiques, un peu mystérieux, sont parfaits pour représenter ce style de musique et les vinyles produits uniquement en tirages limités se sont écoulés en un rien de temps.
Et en littérature
Plus tard, c’est Gérard Klein, grand auteur et spécialiste de science-fiction qui a utilisé cette technique pour illustrer les jaquettes de la collection « Ailleurs & Demain » aux éditions Robert Laffont. À cette époque où les récits de fictions sont perçus comme une littérature distrayante mais non crédible, Gérard Klein rêve « de faire une collection différente, qui démontrerait à l’univers littéraire, l’un des plus coriaces et conservateurs que j’aie rencontrés, de l’armée à l’administration, que la Science-Fiction pouvait être une littérature à part entière, que certaines des œuvres au moins qui en ressortissaient pouvaient avoir l’apparence et la dignité de livres normaux ». C’est donc en 1969 que Robert Laffont lui fait confiance, et c’est un succès ! Dans les librairies, les couvertures cinétiques sautent aux yeux. Elles sont déclinées en aluminium, en or et parfois en cuivre.
Des objets collector
Aujourd’hui, l’entreprise familiale Imprim’Hélio a cessé d’exister car en 2012, les producteurs du type de papier aluminium, spécialisés notamment dans les opercules de yaourt, ont fixé des minimums de commandes impossibles à honorer pour la société. L’héliophore, qui a traversé le siècle dernier à travers de multiples utilisations, comme les couvertures de disques et de livres ou les décorations de magasins, n’existe plus. Mais ce procédé continue de briller sur tous ces objets qui sont aujourd’hui devenus collector.