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Tout le monde peut prendre une belle photo, mais tout le monde ne peut pas organiser un shooting photo sur un thème spécifique. Et c’est pareil lorsqu’il s’agit de conception graphique. Grâce à la technologie actuelle, tout le monde peut créer une brochure, une affiche ou une présentation décente pour, par exemple, son réseau social, mais cela ne signifie pas que tout le monde est désormais un expert en conception graphique.
Par conception graphique, nous entendons la capacité de créer quelque chose qui peut être utilisée dans le cadre d’une stratégie plus large, sur différents supports et à différents moments. Le graphisme ne consiste pas seulement à créer des formes, mais aussi des procédures, c’est-à-dire à “établir un ensemble d’opérations dont les caractéristiques sont déterminées par un objectif précis[1]“.
Cette idée du design se traduit dans la pratique par l’identité visuelle institutionnelle.
Identité visuelle de base
Le travail de l’architecte allemand Peter Behrens, pour AEG en 1907, est considéré par beaucoup comme la première expérience (si on peut l’appeler ainsi) en matière d’identité visuelle d’entreprise. Behrens a tout conçu, du logo aux publicités en passant par les catalogues, les calendriers et les affiches. Mais, il a surtout, utilisé la même police de caractères (Behrens-Antiqua), les mêmes couleurs et la même série de grilles pour y arriver. Behrens était très en avance sur son époque : il faudra des années avant que son approche ne soit largement adoptée. En effet, les concepts d’image et d’identité d’entreprise ne sont apparus que dans les années 1940.
Cette coordination visuelle “de base” répondra aux besoins de communication de la plupart des PME, en particulier lorsqu’il s’agit d’assurer une plus grande uniformité et cohérence des supports graphiques, qu’ils soient imprimés ou numériques. Mais lorsque la taille de l’entreprise augmente et que la coordination visuelle ne suffit plus, il est temps de créer une identité.
Systèmes d’identité d’entreprise (ou de marque)
Le concept de marque existe depuis un certain temps. Les premiers exemples remontent au Moyen Âge, avec les blasons, qui sont apparus lorsqu’il a fallu créer des graphiques personnalisés pour identifier les familles, les lignées et les métiers. À un moment donné, au cours de la révolution industrielle, les marques ont commencé à se répandre et se sont transformées en symboles permettant d’identifier les usines. L’étape suivante a été de passer d’un symbole représentant une personne physique à un symbole représentant une société, les entreprises étant reconnues comme des entités juridiques distinctes de leurs propriétaires[2].
L’entreprise est donc devenue une entité à la recherche d’une personnalité. Alors qu’auparavant la confiance dans la qualité d’un produit reposait sur le producteur, considéré comme une personne, cette confiance doit désormais être placée dans une entreprise. À ce stade, une marque ne suffit plus : ce qu’il faut, c’est une identité d’entreprise.
Cette identité définit l’entreprise, la manière dont elle se présente, se comporte et s’adresse à ses clients. Le logo n’est qu’un des éléments de cette identité visuelle, avec des couleurs, des caractères, des images, un style et un storytelling.
Le “manuel de style” est un outil essentiel pour gérer l’identité visuelle. Le manuel des normes graphiques de la NASA de 1975, conçu par Richard Danne et Bruce Blackburn (décédé à l’âge de 82 ans en février 2021),[3] en est un parfait exemple. En 2015, le manuel de la NASA a été réimprimé par Standards Manual – une maison d’édition spécialisée dans, justement, les manuels de normes. Le manuel est également disponible en format PDF sur le site web de la NASA. D’une centaine de pages, il fournit des conseils sur tout, des polices de caractères et des couleurs à utiliser à la manière d’appliquer le logo sur du papier à en-tête ou de mettre en page une brochure ou une affiche, en passant par des suggestions sur le type de grille à utiliser.
Une autre publication du Manuel des normes, est le Manuel des normes graphiques de la New York City Transit Authority, conçu par Massimo Vignelli et l’agence Unimark de Bob Noorda en 1970.
Les manuels de style définissent les règles, les processus et les procédures qui garantissent la cohérence et la reconnaissance d’une identité, indépendamment de l’endroit et du moment où elle apparaît. Ils fournissent les lignes directrices pour la création d’un nouvel artefact graphique, qu’il s’agisse d’une brochure ou d’une affiche (dans le cas de la NASA), ou de la signalisation d’une nouvelle station (dans le cas de la NYCTA).
La conception d’un système visuel qui couvre tous les aspects et peut être utilisé pour créer un artefact, tant en théorie qu’en pratique, garantit une communication d’entreprise cohérente, efficace et homogène.
Lorsque les besoins évoluent, même la création d’une identité et d’un manuel de style peut ne pas suffire.
Langage de conception et systèmes complexes d’identité visuelle d’entreprise
Le consultant britannique en stratégie de marque Wally Olins, l’un des pionniers de la “marque territoriale” et de la stratégie de marque des entreprises, a déclaré qu’une entreprise communique ce qu’elle est à travers tout ce qu’elle fait[4]. Lorsque vous disposez de plusieurs points de contact et canaux de communication, il est temps de faire évoluer votre identité visuelle vers un système de conception.
Un exemple parmi d’autres est celui d’IBM. L’entreprise produit des artefacts graphiques pour l’impression, le web et la publicité, ainsi que des services, applications et logiciels numériques. Un manuel de style, comme celui de la NASA, n’est donc pas suffisant. Elle a besoin d’un langage qui puisse devenir un “système”. Si vous souhaitez mieux comprendre IBM Design Language, vous pouvez le consulter en ligne. Et il ne laisse rien au hasard, abordant tout, de la philosophie générale de conception aux questions techniques et pratiques spécifiques. Outre les éléments de base tels que le logo, les couleurs et la typographie, des sections décrivent la mise en page d’une brochure, le choix de l’image ou de l’illustration appropriée et l’utilisation correcte des animations et des icônes.
Ce langage est également à la base du système de conception qu’IBM utilise pour créer ses applications et services numériques, qu’elle appelle Carbon.
Prenons un autre exemple : l’identité visuelle de MUSEAUM, le Musée Maritime National Australien, conçu par le studio créatif Frost en 2018. Si vous suivez le lien et regardez les images ci-dessous, vous verrez une série d’artefacts graphiques, allant du logo aux affiches, en passant par le guide du musée et une série de publications. Lorsque l’on examine les conceptions, il est clair qu’elles découlent toutes de la même idée, du même manuel de style, qui pourrait faire partie d’un système de conception plus complexe. Dans les images présentant le travail de Frost pour le musée, une éventuelle collection de livres est évoquée, ce qui nécessiterait des directives spécialement conçues, dérivées du langage principal, à l’instar du système de conception Carbon qu’IBM utilise pour ses applications.
Un système de conception est conçu, et fonctionne, à plusieurs niveaux.
Il y a les principes de base, les valeurs, la philosophie et l’approche. Il y a la dimension pratique liée à l’espacement, la mise en page, la typographie, les photos, les icônes, les illustrations. Il y a les composants spécifiques qui couvrent un domaine particulier et bien défini. S’il s’agit d’applications, il sera question de boutons, de cartes, de menus ; s’il s’agit de magazines, il sera question de la grille, de la façon de traiter les titres, les résumés, les citations, les légendes, les en-têtes.
Cette idée de “systèmes” va bien au-delà de la nécessité de fournir une structure et une identité uniformes à la communication d’entreprise. Le design graphique en particulier, et le design en général, ne servent pas seulement à communiquer, mais aussi à construire une identité.
Un système de conception est donc un ensemble de choses différentes. Il s’agit d’un langage visuel commun qui garantit qu’une organisation présente toujours une image cohérente et reconnaissable. C’est une boîte à outils qui vous permet de coordonner les artefacts graphiques que vous produisez, quelle que soit leur nature. Et c’est une approche bien adaptée aux besoins modernes d’une marque ou d’une entreprise, car elle leur permet de présenter leur identité visuelle et de communiquer à l’aide d’un système “mobile” qui peut s’adapter à différents médias, à différents moments.
J’ai un dernier exemple pour vous : l’identité visuelle du Whitney Museum, qui utilise un W ” responsive “. Toujours présent, toujours différent, toujours reconnaissable.
[1] Riccardo Falcinelli, Critica portatile al visual design, Einaudi, Turin, 2014
[2] Gianni Sinni, Una, nessuna, centomila. L’identità pubblica da logo a piattaforma, Quodlibet, Rome, 2018
[3] Alex Vadukul, Bruce Blackburn, concepteur du logo omniprésent de la NASA, meurt à 82 ans, New York Times, 18/02/2021
[4] Wally Olins, Brand New, Thames and Hudson Ltd, London, 2014