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Une analyse du magazine new-yorkais, élégant et légèrement snob, qui a conquis le monde.
Certains disent que New York est différente du reste de l’Amérique : elle n’est pas représentative du pays dans son ensemble et incarne son esprit le plus élitiste, le plus progressiste, le plus ouvert culturellement et le plus créatif. En général, les personnes qui sont folles de NYC y vivent et pensent qu’elles résident dans la ville la plus intéressante de la planète.
C’est en partant de ce constat que deux journalistes ont décidé de fonder en 1925 un magazine qui allait marquer l’histoire : ils voulaient qu’il ne parle que de New York et de ses habitants, et ils ont si bien réussi qu’ils ont fini par influencer la façon dont le reste du monde voyait leur ville. Le New Yorker a été fondé il y a près de 100 ans, dans le but de décrire la ville de l’intérieur – un microcosme magnifique et fascinant.
Depuis près de 100 ans, un esprit légèrement snob, un esprit caustique et un ton mélancolique sous-tendus par une célébration de la ville et de sa mythologie ont fait du New Yorker le support idéal pour décrire la Big Apple au reste du monde.
En 2019, son tirage global a dépassé le million d’exemplaires, ce qui n’est pas négligeable pour un magazine essentiellement littéraire, avec des articles longs et pratiquement pas de photos.
Il faut dire que les Américains ont toujours été experts dans l’art de convaincre le reste du monde que tout ce qui vient de la Big Apple est beau, intéressant et d’une importance capitale. D’innombrables séries télévisées et films des 30 dernières années ont soutenu le nouveau mythe de New York, qui est passée d’une ville bruyante, sale et violente, bien que culturellement dynamique, à un centre de la mode, du glamour, de l’art et de l’art de vivre. La littérature a également joué son rôle, avec des centaines de livres dont l’action se déroule à New York, comme les romans à succès de Paul Auster.
Sans plus attendre, explorons l’histoire et les caractéristiques – y compris le design graphique – de l’un des magazines les plus célèbres au monde.
Le magazine qui ressemble à un journal
L’une des choses que l’on remarque lorsqu’on tient un exemplaire du New Yorker entre les mains est la légèreté du papier. Les pages sont aussi légères que celles d’un journal, car la publication est conçue pour être lue avec avidité et n’a pas besoin d’utiliser des papiers couchés ou plus épais pour faire ressortir les photographies ou les illustrations en pleine page.
Il mesure 20 x 27 cm, soit un peu moins que le format A4 (ce format a été légèrement réduit il y a quelques années), ce qui le rend facile à poster et à manipuler, et suffisamment petit pour être enroulé.
En bref, le New Yorker est un magazine sans fioritures, qui se concentre avant tout sur le contenu : ses pages mettent en avant la culture, racontent des histoires et décrivent l’art, la philosophie et la politique plutôt que le style de vie, les objets ou la mode. Et il n’essaie pas de vendre quoi que ce soit : même les publicités sont peu nombreuses et pas du tout intrusives.
Le magazine privilégie la substance plutôt que le style, et son apparence sobre soutient cette approche.
Intelligence et humour
Le New Yorker est célèbre pour ses articles, parfois très longs, qui brouillent la frontière entre littérature et journalisme, et qui mettent en scène aussi bien de grands écrivains que des journalistes confirmés.
Les articles littéraires du magazine sont connus sous le nom de “fiction courte” et ont inclus des auteurs du calibre de Haruki Murakami, Stephen King, JD Salinger, Philip Roth, Woody Allen, Vladimir Nabokov, Jorge Luis Borges et bien d’autres encore.
Le design graphique est extrêmement simple et semblable à celui d’un livre, cherchant à permettre au lecteur de lire sans distraction. Le texte est entrecoupé de dessins, d’illustrations, de caricatures et de vignettes, dans un mélange coloré de styles et de qualités.
Parmi les noms célèbres qui ont joué un rôle dans l’histoire du magazine, citons Saul Steinberg, le dessinateur français Jean-Jacques Sempé, Art Spiegalman (le créateur du célèbre roman graphique Maus) et l’illustrateur gothique Edward Gorey, mais il est impossible de les énumérer tous. Tout ce que l’on peut dire, c’est que bon nombre des meilleurs illustrateurs de tous les temps ont été invités à créer des images pour les couvertures et les pages intérieures.
Le journaliste Harold Rodd, qui fut l’un des fondateurs du New Yorker dans les années 1920, déclarait que “le New Yorker compte se distinguer par ses illustrations, qui comprendront des caricatures, des croquis, des dessins humoristiques et satiriques en accord avec son objectif”. En conséquence, dès les années 1940, cet accent mis sur l’art figuratif signifiait que plus de 2 500 dessins d’illustrateurs en herbe arrivaient chaque semaine à la salle de rédaction !
Comme chaque édition comporte au maximum 30 dessins et illustrations, plus un nombre similaire de croquis (tous réalisés par un seul artiste), cela vous donne une idée du défi qu’a toujours représenté le travail de directeur artistique du magazine !
Un graphisme minimaliste et élégant
Un magazine qui se concentre presque entièrement sur son contenu écrit comme celui-ci nécessite une mise en page simple : les articles sont répartis sur trois colonnes, avec des dessins et des illustrations en pleine largeur, une photo de temps en temps et un texte poétique ou des citations parfois insérés dans les deux colonnes extérieures.
Parfois, les articles commencent par une photo ou une illustration pleine page, mais il n’y a pas de règles fixes à ce sujet.
Seules deux polices de caractères sont utilisées dans le magazine : une police originale est utilisée pour les en-têtes, conçue en 1925 par le premier directeur créatif du magazine, Rea Irvin, tandis que Caslon est utilisée pour le corps du texte, un classique de la typographie qui est une dérivation du XVIIIe siècle, moins fantaisiste, de la plus célèbre Garamond.
“L’idée générale de la mise en page du New Yorker était basée sur la formule éprouvée des magazines, à savoir l’horror vacui, ou “la peur du vide”. Les grands espaces de papier non imprimé ont été évités – ce qui est logique, après tout, dans une ville où l’immobilier est si cher. Seule la poésie se voyait accorder le luxe de l’espace“.
Cette analyse réalisée par Eye Magazine – l’un des principaux magazines de graphisme au monde – explique parfaitement la relation du magazine avec le paysage de la ville qu’il chronique et symbolise.
Quelques touches, presque imperceptibles, ajoutent de l’intérêt, comme l’utilisation de lignes vacillantes, dessinées à la main (règles), qui séparent un article du suivant, alors que le texte est homogène, chaque article ou section pouvant commencer n’importe où, ce qui conduit à une sorte de flux ininterrompu de mots.
Dessins et illustrations
L’une des particularités du New Yorker est son utilisation judicieuse des dessins et des illustrations, tant sur la couverture (dont nous parlerons dans le dernier paragraphe) qu’à l’intérieur du magazine.
Il est important de faire une distinction claire entre les différents types d’images : la revue, comme si le temps s’était arrêté, continue à utiliser des dessins en noir et blanc dans de nombreux cas, et pas seulement pour ses vignettes historiques (pour les lecteurs italiens : ces vignettes sont maintenant traduites et publiées par Internazionale, mais elles inspiraient auparavant les vignettes de fabrication italienne qui paraissaient dans l’historique Settimana Enigmistica).
En feuilletant le magazine, on trouve donc des illustrations en couleur, dont certaines modernes et numériques, des dessins au trait à la plume, des petits croquis qui viennent rompre le texte et des vignettes humoristiques, souvent sans grande valeur artistique. Ce pot-pourri de styles et de niveaux fonctionne parce qu’il correspond aux objectifs du magazine et à la ville qu’il représente : un véritable patchwork culturel.
L’utilisation d’illustrations donne une touche de modernité à un design graphique ancien qui est resté fidèle à son concept original, tandis que les dessins, même lorsqu’ils sont créés numériquement, ont une touche fraîche, vintage, élégante et intemporelle. Le New Yorker est réputé pour son utilisation de dessins d’accompagnement, qui sont insérés en superposition sur deux colonnes pour rompre la monotonie du texte (une astuce également empruntée par l’Internazionale en Italie).
Comme nous l’avons mentionné plus haut, d’innombrables artistes célèbres ont figuré dans les pages du magazine, mais l’un d’entre eux, plus que tous les autres, a été associé au New Yorker dans une symbiose créative réussie : Saul Steinberg.
Au cours de sa longue carrière, l’artiste roumano-américain a réalisé un nombre impressionnant de 85 couvertures et plus de 600 dessins et illustrations à l’intérieur, liant inextricablement son nom au magazine, notamment en 1976 lorsqu’il a créé ce qui sera plus tard reconnu comme sa couverture la plus emblématique, View of the World from 9th Avenue, une métaphore ironique et ingénieuse reflétant la façon dont chaque New-Yorkais pense au fond de lui-même que le monde se termine quelque part au-delà de ses banlieues.
Un siècle de couvertures mémorables
La couverture d’un magazine est toujours importante pour générer des ventes en kiosque, mais pour le New Yorker, elle est encore plus cruciale, car les lecteurs distinguent les éditions par le dessin ou l’illustration de la couverture, qui est différente à chaque fois et toujours originale. Ces images n’ont pas nécessairement de rapport avec les articles qui y figurent, mais, comme l’a déclaré François Mouly, directeur artistique de longue date, elles tentent de refléter l’esprit de la période à laquelle le magazine paraît, qui peut changer très brusquement d’une semaine à l’autre.
Certains des plus grands illustrateurs du monde ont réalisé des couvertures pour le magazine : outre les Steinberg, Gorey et Sempè, déjà cités, et les légendaires Jean-Michel Folon et Robert Blechmann, l’Italien Lorenzo Mattotti est l’un des artistes les plus populaires du New Yorker, avec plus de 30 couvertures à son actif. Parmi les autres grands noms de ces dernières années, citons l’illustrateur allemand Christoph Niemann et la Canadienne Anita Kunz.
De nombreuses couvertures évoquent le style snob du magazine, avec des sarcasmes qui frôlent souvent le mauvais goût et provoquent fréquemment des scandales, des discussions et des débats en Amérique et ailleurs ; les couvertures plus politiques, souvent réalisées par des dessinateurs satiriques, font souvent l’objet de nombreuses critiques.
L’une des couvertures qui a suscité le plus d’attention, et qui est peut-être devenue la plus emblématique de l’histoire du New Yorker, est celle créée par Art Spigelman après le 11 septembre, avec ses deux monolithes noirs surplombant les polices de caractères comme des monuments funéraires.
Pour conclure, malgré la crise actuelle de la presse écrite, le New Yorker incarne toujours l’esprit d’une ville et montre comment un magazine bien écrit, bien conçu et bien illustré peut surmonter les modes, les crises et les guerres et devenir l’un des périodiques les plus appréciés et les plus vendus au monde.
Dans deux ans, il fêtera son 100e anniversaire : espérons que ce sera le début d’un autre siècle mémorable.
Sources des images :
https://lithub.com/20-iconic-new-yorker-covers/
https://www.eyemagazine.com/feature/article/a-new-york-state-of-mind
https://www.itsnicethat.com/news/jean-jacques-sempe-obituary-illustration-120822
https://www.behance.net/gallery/22768615/The-New-Yorker