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Nous prenons souvent pour acquis les outils quotidiens que nous utilisons dans notre travail. Mais il est parfois utile de remonter le temps pour comprendre les besoins qui ont conduit à la création de ces outils et pourquoi ils ont évolué de la sorte. C’est en réfléchissant à cela que nous avons eu l’envie de nous pencher sur l’histoire des infographies, l’un des produits visuels les plus utilisés dans le monde de la communication, du journalisme et de l’éducation.
Au cours de nos recherches, nous sommes tombés sur l’histoire fascinante de l’une des toutes premières infographies : un récit qui associe science, art et société qui se déroule lors d’une expédition scientifique aventureuse en Amérique du Sud. C’est aussi l’histoire d’une image qui, à sa manière, a changé l’histoire de la science et notre façon de voir la nature. En somme, nous avons pensé qu’il valait la peine de vous en parler !
La pièce de graphisme qui a donné naissance à l’écologie
La star de l’histoire est Alexander von Humboldt, et l’image dont nous parlons s’appelle Naturgemälde, ce qui se traduit librement par Peinture de la nature. Humboldt était l’un des plus grands scientifiques du XIXe siècle – ami de grands poètes comme Friedrich Schiller et Johann Wolfgang von Goethe et de personnalités révolutionnaires comme l’aventurier et explorateur Simon Bolivar – et son dessin, publié en 1807 au terme d’un long voyage en Amérique du Sud, est considéré comme l’une des premières infographies jamais réalisées.
Cette représentation graphique était incroyablement importante car, pour la première fois dans l’histoire, elle offrait une vision intuitive, visuelle et globale du monde naturel comme une série de connexions entre les êtres vivants. On considère donc qu’elle a été le point de départ de l’écologie et des sciences naturelles telles que nous les concevons aujourd’hui.
Le dessin a été publié pour la première fois dans l’Essai sur la géographie des plantes d’Alexander von Humboldt, publié en 1807. Mais il a réalisé la première esquisse en 1802, immédiatement après avoir escaladé l’une des plus hautes montagnes du monde.
Le monde vu du sommet d’un volcan
Lorsqu’il a escaladé le Chimborazo, Alexander von Humboldt voyageait déjà depuis plusieurs années en Amérique du Sud : il avait observé les côtes, suivi des rivières qui n’avaient pas encore été cartographiées et traversé la forêt amazonienne, sans oublier les jaguars et les terribles moustiques vecteurs du paludisme. Puis, en juin 1802, avec son compagnon de voyage Aimé Bonpland, Humboldt s’est fixé pour objectif d’atteindre le sommet du Chimborazo.
Le Chimborazo est un énorme volcan dans les Andes à l’intérieur des frontières de l’Équateur. À l’époque où l’infographie a été réalisée, on pensait qu’il s’agissait de la plus haute montagne du monde (il est intéressant de noter que si l’on mesure la hauteur des montagnes depuis le centre de la Terre, le Chimborazo est en fait plus haut que l’Everest).
Personne n’avait jamais escaladé la montagne auparavant, et c’était un défi épuisant, d’autant plus que chaque fois qu’il s’arrêtait, le scientifique recueillait les précieuses informations qui ont ensuite été intégrées dans Naturgemälde. Il convient de préciser que Humboldt n’est jamais arrivé au sommet : il a été contraint de s’arrêter juste en dessous du pic. Mais c’est là, à 5970 m d’altitude, qu’il a eu sa trouvaille : il a imaginé le monde à ses pieds comme un tout interdépendant, qu’il a plus tard représenté dans une belle image qui a fait le tour du monde.
Que montre cette représentation innovante de la nature ?
Mais regardons de plus près Naturgemälde, qui, aujourd’hui, serait certainement considérée comme une infographie.
Le grand tableau (90 x 60 cm) représente une sorte de coupe transversale du continent sud-américain, avec les deux océans de chaque côté, le Pacifique à gauche et l’Atlantique à droite. Cependant, elle se concentre sur une montagne en particulier : le Chimborazo.
La montagne, avec son sommet lisse et enneigé, est habilement dessinée en coupe transversale, et contient la répartition des différentes espèces de plantes par altitude, du sous-sol au sommet, à plus de 6000 m au-dessus du niveau de la mer. L’image documente donc plusieurs plantes souterraines, avant de passer aux fleurs colorées de la jungle tropicale qui, à mesure que l’altitude augmente, laissent place à des prairies. Finalement, à plus de 4000 mètres, la seule flore que l’on trouve est constituée de lichens.
À côté du diagramme, Humboldt nous donne quelques informations utiles pour fournir plus de contexte : des données sur l’altitude et ses mesures de lumière, la géologie de la région et la pression atmosphérique. Il énumère également les altitudes des montagnes les plus célèbres à l’époque – comme le Vésuve et le Mont Blanc – et la hauteur qu’Antoine Gay Lussac a atteinte lors de sa célèbre (et intrépide) ascension en montgolfière – 7016 mètres au-dessus du niveau de la mer.
Enfin, il y a également une liste des différents animaux qui peuplent les milieux à différentes altitudes.
L’importance de penser – et de communiquer – visuellement
En un seul dessin, magnifiquement conçu et captivant, Humboldt a donc réussi à résumer des informations dans des domaines très variés, de la botanique à une comparaison visuelle des altitudes compréhensible par les lecteurs, en passant par des faits intéressants et des détails plus techniques.
Aujourd’hui encore, cette image serait considérée comme une infographie parfaite, car elle combine divers éléments de connaissance en une seule vision, le tout en utilisant l’incroyable pouvoir d’une image pour raconter mille mots.
Au XIXe siècle, c’était véritablement révolutionnaire, et pas seulement en termes de conception graphique : c’était la première fois que quelqu’un reliait les différentes parties de la nature et les transformait en une image tangible et explicative. Elle a donné naissance au concept d’écosystème, où tout est interconnecté et où chaque action a des conséquences au niveau mondial.
Ce concept a eu une grande résonance auprès des gens ; en effet, il a connu un tel succès qu’il est encore aujourd’hui la façon dont nous considérons la nature. Et l’idée doit peut-être une partie de son succès à l’image utilisée pour la décrire.
Si vous souhaitez en savoir plus sur cette image et sur Alexander von Humboldt lui-même, nous vous recommandons vivement le livre d’Andrea Wulf intitulé ” L’invention de la nature ” (Luiss University Press). Et si vous souhaitez obtenir une version du domaine public de Naturgemälde dans un format adapté à l’impression, vous pouvez la télécharger ici.