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Le 24 septembre 1991, la sortie d’un album a changé la musique pour toujours. Ce disque, c’est Nevermind de Nirvana : une explosion de rage aveugle, d’angoisse existentielle, de riffs accrocheurs, de guitares sales et de rébellion juvénile de la part de trois Américains âgés d’une vingtaine d’années. Il s’agit du bassiste Krist Novoselic, du batteur Dave Grohl et du chanteur charismatique, guitariste et leader Kurt Cobain. Et ils allaient bientôt devenir des mégastars mondiales.
L’album a inventé un genre – le grunge – et a résumé l’état d’esprit de toute une génération. Nevermind a également changé le destin de Nirvana, un obscur groupe alternatif qui s’est retrouvé propulsé au rang de star internationale du rock presque du jour au lendemain. Tous les fans de l’époque ont en mémoire la vidéo de « Smells Like Teen Spirit », le premier single de l’album, diffusée en boucle sur MTV, et le début obsédant de « Come as You Are », le deuxième single, qui est en contradiction avec le premier.
Propulsé par le succès de ses deux singles les plus accrocheurs, l’album a atteint la première place du Billboard en janvier 1992, détrônant Michael Jackson. Il se vendra à plus de dix millions d’exemplaires rien qu’aux États-Unis et à plus de 30 millions dans le monde entier.
Outre les 49 minutes (morceau caché inclus) de rock révolutionnaire, un autre élément de Nevermind de Nirvana occupe une place importante dans l’imaginaire collectif : la pochette de l’album. Qui peut oublier cette image saisissante d’un bébé sous l’eau, les bras tendus vers un billet de banque accroché à un hameçon ?
Mais d’où vient l’idée de cette image ? Comment le lettrage a-t-il été créé ? Et quelles autres anecdotes intrigantes se cachent derrière cette image ? Découvrez l’histoire de la pochette de l’album Nevermind.
La pochette de Nevermind de Nirvana : un hameçon, un billet d’un dollar et un bébé sous l’eau
Avant la sortie de Nevermind, Nirvana était loin d’être célèbre. Ce n’était qu’un énième petit groupe de Seattle, bien que doté d’un son brut distinctif et d’une réputation de concerts chaotiques.
Puis, en 1991, le groupe a connu son heure de gloire en signant avec la grande maison de disques Geffen Records. Pourtant, même à cette époque, personne ne se doutait que Nevermind deviendrait l’un des albums les plus importants de tous les temps.
L’homme qui a créé la pochette était Robert Fisher. Aujourd’hui, Fisher a une longue et brillante carrière derrière lui, avec un portfolio qui comprend des illustrations d’albums pour des groupes aussi divers que Beck, Megadeth, No Doubt et Smash Mouth. Mais en 1991, il était un jeune designer fraîchement sorti de l’université et faisait ses débuts en tant que directeur artistique au sein du label.
La pochette de Nevermind a de curieuses origines. L’idée initiale vient de Kurt Cobain, qui en a fait part à Fisher lors de leur première rencontre : Cobain voulait l’image d’un bébé né dans l’eau. Le designer s’est donc mis à parcourir des livres sur l’accouchement à la recherche de la bonne image (à l’époque pré-Internet, c’est ce qu’on faisait). Mais les images qu’il a trouvées étaient trop explicites et aucune ne correspondait vraiment à ce qu’il voulait.
De plus, Fisher ne pensait pas que l’idée d’un nouveau-né dans l’eau était suffisante. Il lui manquait un petit quelque chose. Une fois de plus, l’imagination sinistre de Cobain est venue à la rescousse : pourquoi ne pas ajouter un hameçon à l’image ?
Mais quel serait l’appât sur cet hameçon ? Fisher se souvient qu’il a passé un après-midi divertissant avec le groupe à imaginer ce que cela pourrait être. Parmi les suggestions les plus étranges, il y avait un bon gros steak, un burrito, un CD et un chien. Puis quelqu’un – il ne se souvient plus qui – a suggéré un billet d’un dollar, et tout le monde a semblé l’apprécier.
Ce que signifie la pochette de l’album Nevermind
Un bébé nageant sous l’eau. Un hameçon. Un billet de banque. À partir de ces ingrédients, une pochette a été concoctée, apparemment sans idée précise de son message.
Et pourtant, le résultat est un symbole puissant : à peine nés, nous sommes forcés de courir après l’argent, piégés dans un système qui nous trompe et nous asservit. C’est ce que beaucoup ont vu, une interprétation qui s’accorde parfaitement avec le grognement anti-système de Nevermind.
D’autres y voient une plaisanterie consciente : le bébé représente Nirvana eux-mêmes qui, pour leur deuxième album, se sont « vendus » à une grande maison de disques et ont tourné le dos à la scène alternative qui les a vus naître.
Photographier le bébé : comment la pochette de Nevermind de Nirvana a été créée
Si la signification de la pochette de Nevermind fait toujours l’objet de controverses, la façon dont elle a été réalisée fait l’objet d’un consensus plus large.
Une fois les éléments clés définis, il était temps de créer l’image. Fisher a fait appel à un photographe sous-marin spécialisé, Kirk Weddle, après avoir vu un échantillon de son travail dans un annuaire de photographes.
Comme l’explique Weddle, prendre une photo sous l’eau n’était pas facile à l’époque, ni aussi courant qu’aujourd’hui. L’appareil photo devait être placé dans un boîtier métallique, il n’y avait pas d’autofocus, ni d’écran numérique pour prévisualiser la prise de vue.
La séance photo s’est déroulée dans une piscine locale de Pasadena, en Californie. Quelques parents avec des nouveau-nés ont été invités en échange de 200 dollars.
Une poupée a d’abord été utilisée pour quelques photos d’essai, puis les vrais bébés ont été passés sous l’eau par leurs parents, et Weddle a pris des photos. Quelques semaines plus tard, Fisher a reçu les résultats de la prise de vue. Il y a eu une cinquantaine de prises de vue. Selon Fisher, une seule d’entre elles correspondait à la photo : « La position, l’expression du visage du bébé, la façon dont ses bras étaient tendus comme s’il cherchait à atteindre quelque chose – tout était parfait.
La photo a ensuite été retouchée : le dollar accroché à un hameçon et les bulles d’air ont été ajoutés, le fond de la piscine a été effacé à l’aérographe.
La touche finale : les caractères ondulés « Nevermind ».
Il ne manquait plus que le titre de l’album et le nom du groupe. Ils ont été placés dans le coin inférieur droit, avec un effet aquatique pour le lettrage « Nevermind ».
Mais comment la typographie « Nevermind » a-t-elle été créée ? Rappelons que nous sommes en 1991 et que, comme pour le reste de la pochette, tout a dû être fait manuellement. Tout d’abord, Fisher a imprimé la police de caractères du titre en ITC Franklin Gothic Heavy, une police très populaire à l’époque. Ensuite, pour créer l’effet d’ondulation, il a placé l’impression dans une photocopieuse et l’a secouée pendant la copie.
Juste au-dessus du nom de l’album se trouve le logo de Nirvana, qui avait déjà été utilisé sur le premier album du groupe, Bleach, sorti en 1989. La police utilisée est Onyx, qui deviendra la marque de fabrique de Nirvana. Il s’agit là aussi d’un choix accidentel. Le premier album de Nirvana avait été publié par le petit label indépendant Sub Pop et la pochette avait été réalisée par sa directrice artistique, Lisa Orth, dans les bureaux de The Rocket, un zine musical local où elle travaillait également. Travaillant dans l’urgence, elle a choisi la police de caractères à partir de la sélection limitée disponible sur la machine à composer du magazine !
Spencer Elden : le bébé qui a grandi pour poursuivre en justice
Nevermind a propulsé Nirvana au rang de star stratosphérique. Il a également fait la fortune de nombreuses personnes impliquées dans sa réalisation, notamment le groupe et sa maison de disques, qui ont mis d’autres projets en attente pour profiter du succès inattendu qu’ils avaient entre les mains. Des décennies plus tard, cependant, une personne a commencé à se sentir exclue de ce succès : la personne représentée sur la pochette.
Spencer Elden était le bébé sur la pochette. Il a toujours eu des sentiments contradictoires quant au fait d’apparaître, sans son consentement, sur l’une des pochettes d’album les plus célèbres de tous les temps. En 2008, un Elden adolescent a posé pour une séance photo qui recréait la pochette emblématique. Il en a fait une autre en 2016, révélant cette fois un tatouage « Nevermind » sur sa poitrine.
Plus récemment, Spencer a poursuivi le groupe en justice (sans succès), affirmant que l’utilisation de son image nue constituait une exploitation sexuelle. Il se trouve que Geffen Records voulait initialement couvrir les organes génitaux du bébé pour éviter les problèmes juridiques, mais le groupe a refusé. Le seul compromis qu’ils auraient accepté était de placer un autocollant provocateur sur les seins du bébé. Geffen a fini par céder et a sorti Nevermind avec Spencer nu dans toute sa gloire.
La pochette de Nevermind aujourd’hui
L’impact émotionnel de la pochette de Nevermind va bien au-delà de sa vedette involontaire. Faisant désormais partie de notre imaginaire collectif, elle est fréquemment citée dans la culture pop du monde entier.
Il existe de nombreuses parodies de Nevermind qui recréent l’image emblématique avec différents personnages. La plus connue est sans doute celle de Bart Simpson.
D’autres ont mis en scène Yoda et le Pokémon Carapuce.
Alors que la pochette criait à la rébellion anti-consumériste lors de sa sortie, elle a depuis été apposée sur d’innombrables produits dérivés de Nirvana. Certains sont plutôt vulgaires, comme cette coque de smartphone.
Et d’autres, de meilleur goût, comme des affiches, des tote bags, des aimants de réfrigérateur et des puzzles.
