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Un produit, aujourd’hui incontestablement rétro, a déclenché une mini-révolution dans le monde du graphisme et de la typographie lors de sa mise sur le marché au début des années 1960 : les transferts Letraset, également connus sous le nom de « lettres instantanées ».
Il s’agissait de feuilles spéciales de couleur brillante, chacune remplie d’une myriade de glyphes, de lettres, de symboles et de décorations et (plus tard) de logos et de petits dessins. Cet outil facile à utiliser et cette innovation relativement simple ont néanmoins rendu possible quelque chose qui était auparavant presque inimaginable : n’importe qui pouvait désormais créer ses propres affiches ou fanzines dans le confort de sa maison pour seulement quelques centimes !
Aujourd’hui, nous vous racontons l’histoire de cette marque emblématique et la manière dont ses transferts ont influencé le look et la culture populaire des années 1960, 1970 et 1980.
Des feuilles et des polices destinées au succès
Nous sommes en 1961, et de nombreux événements qui laisseront une trace indélébile sur la nouvelle décennie n’ont pas encore eu lieu : Les Beatles, par exemple, viennent tout juste de se former et n’ont pas encore commencé à écrire leur premier album, Please Please Me. Cette année-là, une entreprise londonienne nouvellement créée – Letraset – commence à développer un nouveau produit : les transferts à sec.
Le concept ne pouvait pas être plus simple : il suffisait de placer les feuilles sur n’importe quelle surface et de frotter soigneusement pour que la lettre soit imprimée, ou plus exactement transférée. Les feuilles Letraset étaient fabriquées dans un matériau sensible à la chaleur et les lettres étaient imprimées avec des encres spéciales. En les frottant, on augmente la chaleur et on transfère le caractère sur le support en dessous, sans avoir besoin d’une plaque épaisse. Le résultat ressemble à une véritable impression.
C’est le début d’une révolution miniature : pour la première fois, les gens peuvent réaliser tous les produits graphiques qu’ils souhaitent depuis chez eux. Tout le monde pouvait concevoir et produire sa propre affiche, sa propre publicité, son propre fanzine ou son propre flyer !
Brevetés en 1962, les transferts Letraset ont connu un succès commercial immédiat et se sont retrouvés dans des millions de foyers. Dans les années qui ont suivi, d’autres entreprises ont tiré parti de la même technologie, les transferts produits par l’entreprise vénitienne R41 devenant par exemple très populaires en Italie.
La composition graphique à la portée de tous pour la première fois
Aujourd’hui, nous tenons pour acquis que tout le monde peut créer un flyer avec un éventail de polices de caractères, de décorations et d’images à l’aide de son ordinateur ou de son smartphone. Dans les années 1960, il s’agissait d’une nouveauté absolue, qui a perduré pendant plusieurs décennies – les premiers PC n’ont fait leur apparition que trente ans plus tard.
Dans les années 1960, la réalisation et l’impression d’un produit graphique nécessitaient encore des machines très coûteuses et l’expertise de graphistes et de typographes. Les transferts, quant à eux, ne coûtaient que quelques centimes et leur utilisation ne nécessitait pas de grandes compétences techniques. Il s’agissait de la première technologie de composition DIY graphique et, comme on pouvait s’y attendre, elle a connu un énorme succès.
En conséquence, les transferts ont exercé une influence considérable sur l’apparence et la culture populaire des années 1960, 1970 et 1980. La nouvelle accessibilité de la composition graphique a stimulé la créativité des amateurs et des professionnels. Et le monde du design graphique s’est démocratisé.
Les gens ont commencé à expérimenter : les transferts iconiques ont été utilisés par des designers graphiques, des studios de design, des architectes, des agences de publicité et des artistes. Tous ont commencé à explorer des options jusqu’alors considérées comme taboues : jouer avec les lettres imprimées et le lettrage, briser et faire pivoter les mots, utiliser une myriade de polices de caractères différentes qui étaient enfin disponibles à un prix abordable, et les modifier en allongeant ou en raccourcissant manuellement les glyphes.
La nature « anarchique », peu coûteuse et non médiatisée des transferts les a rendus très populaires parmi les mouvements de la contre-culture de l’époque. Dans certains cas, l’emploi d’un éditeur ou d’un designer graphique professionnel aurait augmenté le risque que ce que le créateur avait en tête soit censuré ou ne soit pas produit du tout.
C’est l’une des raisons pour lesquelles le mouvement punk a adoré les transferts, comme l’explique cet intéressant documentaire sur la chaîne Arte : la technologie était fréquemment utilisée sur les pochettes de disques.
Qu’est-il advenu des transferts ?
La technologie du transfert est restée populaire pendant plusieurs décennies. Letraset l’a également utilisée au fil des ans pour créer des jeux pour enfants.
Dans les années 1990, les gens ont commencé à acheter leurs premiers PC et, naturellement, le lettrage instantané a commencé à devenir obsolète. Cependant, un fait peu connu est que, dans ces années-là, Letraset est également passé au numérique : l’entreprise britannique a produit divers programmes de design graphique pour Macintosh, dont ImageStudio et ColorStudio, qui, pour être honnête, n’ont pas eu beaucoup de succès.
Cependant, l’entreprise a réussi à survivre jusqu’aux années 1990 grâce aux droits de ses polices de caractères devenues populaires grâce au lettrage instantané et qui ont été progressivement numérisées. D’ailleurs, certaines polices portent le mot Letraset dans leur nom encore aujourd’hui.
L’héritage de Letraset est donc toujours bien vivant, et pas seulement en tant que première entreprise à avoir démocratisé le monde de la composition graphique ! Par exemple, Letraset a apparemment popularisé l’utilisation de Lorem Ipsum comme texte de remplacement, puisque les feuilles Letraset ont été parmi les premiers objets à en contenir. https://it.lipsum.com/.
En outre, la technique du transfert à sec conserve un certain attrait en raison de son caractère tangible dans un monde de plus en plus numérique. Malcom Garret, professeur à la Manchester School of Art et l’un des premiers à avoir utilisé le lettrage instantané sur des pochettes de disques dans les années 1970, décrit les regards étonnés de ses étudiants lorsqu’ils découvrent la technique.
Si vous êtes pris d’une vague de nostalgie ou si vous souhaitez expérimenter cette technique, vous pouvez visiter Letra Shop, une boutique en ligne qui vend encore des transferts Letraset ! Par ailleurs, l’éditeur londonien Unit Editions a publié un magnifique livre en édition limitée intitulé Letraset: The DIY Typography Revolution.
Et vous ? Avez-vous déjà vu des transferts ? Les utiliseriez-vous encore dans votre travail ?